Il est 16 h 30, certaines finissent le travail, elles traversent le port pour prendre une navette et rentrer chez elles.
Une dizaine de femmes, toutes voilées, à la queu leu leu.
Je les suis jusque devant l'entrée du port, un terrain vague, où leur bus vient les prendre. Je les observe, elles me dévisagent tout en me tenant à distance, elles me tournent le dos pour ne pas que je les prenne en photos.
Au bout d'un moment, comme je suis là, que je m'incruste, à sourire et à les regarder, je finis par en amuser quelques-unes.
Les femmes sont maintenant une centaine, arrivées au compte goutte de la zone franche, et leurs bus tardent à arriver.
Un petit groupe s'approche. Elles ne parlent pas français, certaines un peu l'espagnol, mais bon, ça n'avance pas l'affaire puisque je ne parle pas plus espagnol qu'arabe.
On ne s'échange que quelques sourires. Soudain, alors que je pensais que ça n'arriverait plus, une femme accepte que je la photographie.
Je lui montre le résultat sur l'écran de mon appareil, elle se plaît.
Du coup petit à petit d'autres font le pas.
Et puis miracle, arrive quelqu'un qui parle un peu français, on fait les présentations collectives.
Et ça continue comme ça une demi-heure.
J'expliquais la veille à un ami marocain que c'était vraiment les femmes que j'avais le plus de mal à approcher ici, que je n'arrivais pas à entrer en contact avec elles, eh bien, avec du temps et de la persévérance, c'est arrivé !
En arrière-plan à droite, des femmes intégralement voilées, qui sont restées entre elles en en retrait tout ce temps-là.
La "station" de navettes est un grand terrain boueux avec odeur d'égouts à la clé.
Ce jour-là, elles attendent bien une demi-heure avant de prendre leur bus après le travail.
Celles-ci travaillent dans une usine danoise de crevettes dans la zone franche
Après renseignement, elles sont payées au rendement entre 1200 et 1500 dh par mois (le smig marocain est à 1880 dh, un peu plus de 150 euros), pour 44 heures de travail hebdomadaire et elles n'ont pas la sécurité sociale : totalement illégal
Au bout d'un moment un petit groupe m'a complètement adopté, elles sont très près de moi, me touchent, me disent que je suis jolie. Soudain, l'une d'elles me dit "viens chez moi" en arabe, elle insiste, je me laisse emmener.
Je ne sais pas où elle habite, je vérifie juste que je ne vais pas me retrouver à Fès, que je pourrai prendre un taxi pour revenir à Tanger centre.
Je grimpe dans le véhicule de transport de personnel qui ramène Zohra et plusieurs de ses collègues et voisines chez elles.
C'est comme ça que je me suis retrouvée dans un bidonville en dur à Bir Chifa, en périphérie de Tanger, à regarder une série mexicaine chez Zohra, à manger de la vache qui rit sur le pain que venait de cuire sa mère.
C'est comme ça que j'y suis même retournée une deuxième fois pour tourner un reportage sur Zohra, l'éplucheuse de crevettes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire