jeudi 19 novembre 2009

Le quotidien d'une analphabète - Tanger






Cela se passe dans un magasin Amendis, la société des eaux et de l'électricité du Nord, place du grand socco.

Chaque mois, on doit venir payer ses factures au guichet, une fois qu'on les a reçues à la maison, et il ne s'agit pas de traîner, sous peine de se faire couper le jus et l'eau.

Je me rends donc pour la première fois à Amendis (les autres fois, c'est Niko qui s'y est collé), j'appuie sur une machine qui me crache un numéro.
Objectif : payer mes 330 dirhams (30 euros) et ressortir le plus vite possible.

220.

Au guichet, on en est au numéro 196.
Autrement dit, c'est pas gagné.
Je pars faire une course, quand je reviens, on en est au numéro 200.
Aïe, j'en ai pour des heures.

Je m'assieds, attends. Une femme d'une cinquantaine d'années assise devant moi se retourne pour me dévisager, pour m'hypnotiser peut-être. Elle a des yeux d'un bleu inquiétant.
Je me dis qu'elle va attraper un torticolis si elle continue à faire des aller-retours pour me regarder quand une autre femme, à peu près du même âge, voilée elle aussi, entre dans le magasin et s'assied près de moi.

Elle me tend le papier sur lequel est inscrit son ordre de passage. 210.

Elle me parle en arabe, elle voit à mon regard ahuri que je ne comprends rien, mon voisin de gauche nous sert d'interprète.
Elle ne sait pas quand est son tour.

Analphabète. Elle ne reconnait même pas les chiffres.

Je lui montre avec mes mains la différence : 5 puis 3 puis 2 et c'est à elle, je lui fais signe quand c'est son tour.

Elle va payer au guichet, et juste après, la première dame, celle du regard perçant, se retourne encore une fois brusquement, me met son papier sous le nez : 212.
Je comprend mieux ce qu'elle me veut : je lui indique à son tour un 2 avec les doigts.

Ces deux femmes font partie des 4 Marocains sur 10 analphabètes
(chiffre officiel, la réalité est bien pire ; moyenne qui cache le lourd tribu payé par les femmes, qui sont celles qui savent le moins lire et écrire).

Avec la création d'une agence nationale d'alphabétisation et l'objectif de 20% d'analphabètes d'ici 2012, le royaume a mis en place des cours pour les femmes et les enfants déscolarisés, mais c'est loin d'être suffisant.

Dans le rapport 2009 sur le développement humain rendu public il y a quelques semaines par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), le Maroc occupe cette année le 130ème rang sur 182 pays classés, derrière l’Algérie (104e) et la Tunisie (98e).

Le royaume recule de 4 places par rapport à l'an dernier.

En 2008, les autorités ont estimé que les trois critères permettant de définir l'IDH (l'indice de développement humain) d'un pays n'étaient pas suffisant.

" L'espérance de vie à la naissance, le niveau d'instruction et le PIB (produit intérieur brut) par habitant sont limitatives pour mesurer le développement humain " a estimé le Haut Commissaire au Plan marocain.

Arguments majeurs :

-cet indice ne permet pas d'avoir un aperçu des efforts accomplis par le pays pour faire évoluer les trois critères

-il y a d'autres critères à prendre en compte comme les conditions de vie des citoyens, l'accès à l'eau potable, le taux d'électrification ou l'égalité des sexes.

N'empêche. Les efforts de développement économique du royaume sont bien plus prégnants que ceux qui visent le développement humain.


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