mercredi 18 novembre 2009

Le cliché de trop - Port de Tanger

Hier soir, 20 heures.

J'ai rendez-vous au port avec Mohammed.
Mohammed, c'est un jeune garçon que j'ai rencontré le matin même au marché aux poissons du grand socco. Je faisais des photos et essayais de discuter et de prendre un peu de son au milieu de tous ces hommes en bottes de caoutchouc, les mains plongées dans les étals de poissons.

Mohammed, ce sont deux yeux noisette, une houpette brune, un corps tout fin et un sourire d'ange.
Il a 19 ans et vend du poisson avec son frère et un ami.




Comme je m'attardais un peu dans le souk, je suis retombée par hasard sur lui un peu plus tard. Il remplissait un sceau d'eau à la fontaine, la discussion s'est engagée. Il parle trois mots de français, moi trois mots d'arabe, alors on s'est débrouillé pour trouver un interprète. Il m'invite à revenir le lendemain voir un gros poisson. Je lui dis que j'aimerais beaucoup voir le moment où ils chargent le poisson, il me propose de venir le soir même à 20 heures au port.


Banco, j'y vais avec mon enregistreur, mon appareil photo et Adel, un copain marocain rencontré à la radio. Il est partant pour être mon interprète.

20 heures au port, on appelle Mohamed sur son portable. Il nous rejoint avec deux amis à lui et nous fait entrer dans la salle de la vente à la criée. C'est rare d'y entrer quand on n'est pas professionnels. Il a demandé l'autorisation, pas de photos, l'enregistreur, c'est bon.

Il nous explique des tas de choses sur les arrivages de poissons, sur sa vie, n'oubliant pas au passage de vanter l'hygiène dans la salle où transitent les poissons une fois les bateaux à quai.

C'est une petite salle. Parce qu'un arrivage de poissons en chasse un autre, et comme il s'agit de denrées très périssables, on ne stocke pas.

Quelques affiches "ne pas cracher" sur un mur, et sur un autre, un écran de contrôle dernier cri enregistrant le poids, l'origine, la provenance des poissons. L'artisanal et une forme d'anarchie cohabitent avec la traçabilité et à la propreté, normes européennes obligent. -un accord lie l'UE au Maroc : le royaume autorise certains bateaux européens à pêcher en eaux marocaines ; en contrepartie, l'UE verse de l'argent aux pêcheurs marocains pour la modernisation de leur flotte-.
Deux tiers des exportations de la pêche au Maroc vont vers l'Union européenne.

Par ailleurs, le royaume mise beaucoup sur ses 3500 kilomètres de littoral pour développer le secteur de la pêche. C'est le Plan Bleu.

Bref, on nous chasse plus ou moins de la salle, le ménage doit être fait avant le prochain arrivage,




Après l'interview, Adel et moi nous avançons un peu dans le port. Derrière la salle de la vente à la criée, quelques hommes vendent du poisson, de beaux morceaux. Il n'y a pas que des pêcheurs et des acheteurs en gros, il y a aussi quelques particuliers, venus faire des affaires.

Je sors mon appareil, quelques clichés, un peu trop, je suis repérée, un flic se pointe vers moi, flanqué d'un douanier. Pas de photos. Vous êtes journaliste? Non. Photos interdites, vous les supprimez de la caméra. Toutes? Oui. Bon. Je m'exécute, essayant tout de même d'en garder quelques-unes (on ne se refait pas). Le flic est insistant.
Je les supprime toutes. Il dit en arabe à Adel qu'il est vraiment désolé mais que c'est les ordres.
Il semble vraiment gêné.

Ces quelques poissons sont vendus à même le sol. Le contre-exemple qui vient remettre en question l'assurance que les normes d'hygiène sont respectées (alors qu'à l'intérieur de la halle où transite le poisson entre pêcheurs et acheteurs, ça s'est modernisé, et c'est nettoyé en permanence). D'où l'interdiction, certainement.

Adel a réussi à prendre quelques clichés sans se faire voir :



Comme me le fait très justement remarquer Niko, cette anecdote est révélatrice de l'hypocrisie qui règne dans beaucoup de domaines.
On veut à tout prix sauver les apparences. Cacher la vérité, pour ne pas nuire à l'image du royaume, nier l'imperfection, même quand elle est minime.
Totalement contreproductif : cela créé du soupçon, on y voit de la mauvaise intention, quand l'a priori était plutôt bon et qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat.

Au contraire, s'il admettait des vérités même peu avouables, s'il soulevait la chape de plomb qui retient la parole (coup de chapeau au passage aux journalistes marocains), le royaume avancerait en se trouvant beau dans la glace.



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