Lundi 28 mars, 13 heures, Oulan Oude.
On approche de la frontière avec la Mongolie. 30 minutes de pause à la gare. Au moment de sortir prendre le soleil sur le quai, une remorque remplie de charbon est arrêtée juste devant l’entrée du wagon. La podvonista fait remplir par deux bonshommes en vestes fluo orange des seaux de charbon qu’elle récupère pour notre wagon. Le charbon, c’est pour faire chauffer le samovar, je suppose, de l’eau bouillante en continu, c’est le plus du train. Au même moment, un autre gugusse, lui, en veste fluo jaune, passe de wagon en wagon et tape sur les roues. Niko, fils de cheminot, me dit qu’il vérifie le niveau de l’huile. Et que ça lui fait penser à Bourville dans Le Cerveau. Je passe mon tour, moi, à part La vache et le prisonnier, j’avoue que j’ai séché les dimanches soirs devant Bourville et De Funès.
En tout cas, pour le Transsibérien/Transmongolien, les choses sont réglées au cordeau. Train à l’heure. Vérifications faites. Le prestige de la ligne ferroviaire la plus longue d’Europe (du monde ?) demeure, et c’est en partie justifié. Surtout quand il s’agit d’un vrai Transmongolien, pas de l’équivalent du tchoutchou qui s’arrête partout et qu’on a pris la semaine dernière.
Comble de luxe, la podvonista est même plus sympa, et notre comparse de compartiment (il fallait bien qu’on partage à un moment donné) est lui aussi discret et coolos. Vladimir, un Ukrainien qui vit au sud de Kiev. Et termine un périple de 6 jours de transsibérien pour se rendre à son travail, à Djoude, juste avant la frontière avec la Mongolie. Il bosse dans l’aéronautique, sûrement pour l’armée de l’air, et pour Airbus. C’est tout ce qu’on a pu tirer de nos échanges avec les mains. Déjà pas mal me direz-vous sans parler la moindre langue commune. Euh, on espère pour lui que ce type de déplacement pro est plutôt rare, parce qu’il vient tout simplement de traverser toute la Russie.
Luce
Instantané 2 – Doux comme un dimanche fin d’après-midi à Irkoutsk
Lundi 28 mars, début d’après-midi
Je repense à Irkoutsk. Ses maisons de bois, héritage du passé, coincées entre des bâtiments, son centre-ville animé. La rue Ouristkovo, sur laquelle on tombe par hasard. Un groupe de jeunes fait de la musique, genre rap et beat box, on sympathise, je prends des photos, Niko filme. C’est une belle fin d’après-midi. Même Niko arrive à relayer au second plan le coup du tramway qui vient de se produire :
Alors que le minibus nous ramenant de Litsvianka nous dépose devant la gare routière, comme l’auberge est loin, on décide de monter dans un tram. On achète des billets à 10 roubles l’unité (25 cts d’euros), on les composte avec une machine du poinsonneur des Lilas. Derrière nous des rangées d’hommes et de femmes. Ils sont élégants, surtout les femmes. Charme désuet dans le vêtement, charme rétro, presque glamour dans la coiffe et le maquillage. Beaucoup de jeunes femmes sont très jolies, type slave, teint pâle, nez effilé, yeux clairs, cheveux bruns, surmontés d’un chapeau ou d’une chapka. La grande mode semble être de porter de faux ongles bariolés. Moins de quatre couleurs différentes, tu n’es pas dans le coup. Et il faut que cela signifie quelque chose : un soleil, ou s’il s’agit d’une forme abstraite, tout l’art consiste en sa reproduction 10 fois à l’identique. Par la fenêtre, les femmes les plus âgées portent des fourrures de pied en cap. Assises sur un banc, elles se repoudrent. Plus chic. So glamour.
Le contrôleur m’arrache à mes observations. ‘Où allez-vous ?’ en russe. Ul Lenina 9. Il nous fait comprendre qu’il nous fera signe quand il faudra descendre. De la gentillesse, comme ça ? Vraiment un bon feeling avec cette ville d’un demi-million d’habitants. Je savoure. A son signal, on quitte le tram. Et là, pas la moindre rue Lenina ni rien d’approchant. Nous demandons notre chemin à un vieil homme, il nous fait comprendre que c’est loin, très loin. Ce salaud de contrôleur nous a lâchés à l’autre bout de la ville. Ça n’entache pas notre bonne humeur, en tout cas la mienne : le grand détour fait en tram nous a permis de visiter la ville, et de goûter sur notre chemin du retour à pied un peu de l’atmosphère douce qui règne sur LA ville orientale de Russie.
Luce
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Instantané numéro 3- Midnight Express
Lundi 28 mars, début d’aprem dans le transmongolien.
17 h 30 dimanche à l’auberge de jeunesse, nous lançons une lessive, nourrissons le blog après cinq jours sans internet. Quand l’une des responsables de l’auberge au téléphone nous demande en anglais si, comme nous allons à Oulan Bator, nous pouvons rapporter le shampoing d’un précédent hôte. Un shampoing ? Un type va venir d’ici une quinzaine de minutes l’apporter, nous verrons avec lui. Entre-temps, on se consulte : c’est quoi ce plan ? Il y a quoi dans son shampoing à l’autre gugusse pour qu’il veuille tant le récupérer ? Midnight Express, ça vous rappelle quelque chose ? On doit passer une frontière, qui plus est entre la Russie et la Mongolie, alors pas question de prendre avec nous des bagages qui ne nous appartiennent pas. Ça peut sembler ridicule pour du shampoing. Mais qui nous dit qu’il s’agit vraiment de shampoing ? La suite nous donne la conviction que nous avons eu raison. Un jeune homme arrive, il nous montre le sachet avec deux lotions sans étiquette. Ses mains tremblent. On lui demande pourquoi son client fait autant de cas de son shampoing ? Il répond que c’est un Australien, que son shampoing coûte cher, qu’il prend très soin de ses cheveux. Mouais. On décline pour le service, il n’insiste pas, nous offre un DVD et des cartes postales et s’éclipse dans l’instant. Est-ce qu’ils cherchaient des pigeons pour jouer les mules, et vu nos histoires de retard à l’auberge et de billets non livrés par la poste, ils se sont dits à l’auberge qu’ils tenaient les bons oiseaux ? Est-ce qu’ils tentent avec tous les jeunots qui vont en Mongolie ? Est-ce que l’auberge cautionne ? Ou alors s’agit-il simplement du caprice d’un dandy prêt à monnayer pour un shampoing ? On ne saura jamais, mais l’attitude fiévreuse du jeune homme nous fait dire que nous avons fait bien fait de ne pas tenter le diable. Je dois même dire, au moment où j’écris ces lignes, perchée sur mon lit de transmongolien, et alors qu’on approche de la douane, que je ne suis pas fâchée d’avoir juste avec moi mon shampoing à l’abricot Super U.
Luce
Instantané 4 – Le minibus
Lundi 28 mars, toujours en début d’après-midi.
Et là je me dis que ce n’est plus vraiment l’Europe, qu’on est au bout du monde, et que j’aime ça.
Samedi tout début d’aprem, la jeunette de l’auberge nous indique un lieu où prendre un minibus pour aller voir le lac Baikal. C’est 100 roubles par personne, 2,5 euros pour faire 70 kilomètres. Que dalle. Nous trouvons la gare, des camionnettes et des minibus sont garés dans un secteur de la ville, au nord-est, et derrière le pare-brise est indiqué la destination, en alphabet cyrillique bien sûr, mais si à l’oral je ne sais toujours pas dire bonjour en russe, je peux le lire. Je vous montrerai bien ce que ça donne Irkoutsk en alphabet cyrillique mais je n’ai pas l’ordi adéquat.
Nous sommes maintenant 14 passagers, le chauffeur démarre. Cap sans encombre jusqu’au lac Baikal. Deux jeunes filles nous font face dans cet espace étroit rendu ultra fonctionnel. Elles rient en feuilletant un journal. Elles ont fait des courses en ville, à Irkoutsk, et retournent dans leur campagne sans magasins. A côté d’elles, une vieille dame tousse à s’en décrocher les poumons. Vu les gauloises sans filtre qu’elle doit fumer depuis cinquante ans, je la trouve relativement bien conservée. L’écharpe à carreaux qu’elle a nouée autour de ses oreilles la sauve au moins de la grippe. Je me sens bien parmi tous ces Russes. Je me laisse bercer par le roulis de la camionnette et somnole.
Retour le dimanche en début d’après-midi. Litsvianka – Irkoutsk. Nous grimpons dans un camion bien plus grand. Bien plus vieux aussi. Nous sommes calés devant, les genoux repliés à hauteur de la poitrine. Je suis étonnée, le conducteur démarre alors qu’on n’est pas au complet. Je comprends mieux pourquoi. Il s’arrête tous les cinq cent mètres pour déposer ou faire monter quelqu’un, jusqu’à s’engouffrer dans les lotissements de modestes maisons de bois. La route est défoncée par les nids de poule, elle n’est pas dégagée, il y a encore des congères, des plaques de verglas. Echange de regards avec Niko : a ce rythme on n’est pas arrivés< Heureusement, rapidement, le camion reprend la ligne droite. Il atteindra tout de même les 30 passagers pour 24 places assises. Belle perf. On est dimanche, nombreux sont les habitants d’Irkoutsk à aller s’éclater et pique-niquer aux abords du lac Baikal. Ça ne vaut pas un taxi brousse surpeuplé mais c’est déjà un beau plongeon dans les conversations et la vie russe.
Luce
Pendant deux jours, son odeur ne m’a plus quitté : l’omoul. Du poisson qui ressemble à de la truite et qui se mange à toutes les sauces mais surtout à la manière fumée. C’est la star locale, avec le phoque blanc nerpa qu’on n’aura pas eu la chance de voir. Tu ne peux pas le rater, il s’étale sur tous les marchés, dans les bouibouis proches du lac. Poisson entrouvert et retenu par des cure-dents, sa peau se retire facilement et tu n’as plus qu’à savourer. Un délice.
Instantané 6, Il n’y a pas que les rappeurs américains qui ont des dents en or, il y a les Russes aussi.
Sourire inimitable. Hommes et femmes. Il leur manque plusieurs dents, alors on leur a mis des dents en or, ou en plaqué je suppose. Une fois en France, je me renseignerai sur ce que ça veut dire du rang social. Plus t’as de dents en or, plus t’es riche ?
Je me pose aussi d’autres questions existentielles, et je n’ai trouvé aucun Russe pour l’instant pour y répondre :j’ai cru voir en passant une station-service proposant du carburant qu’on ne fait plus depuis très longtemps en France, genre très peu raffiné. Ça existe le super 80, voire 72 ? Vue l’odeur de charbon et d’essence qui règne dans les villes, c’est pas impossible.
Enfin, pourquoi les Russes ne vendent-ils pas de jus au verre dans les cafés ? Tu dois acheter ton litron, super. Je me rabats sur les hot chocolate, les chocolats chauds sans lait, que j’avais découvert avec Marianne au café Pouchkine, célèbre café chic de la capitale russe. La cuillere tient debout toute seule tant le chocolat est épais.
Luce