vendredi 27 novembre 2009

Vous avez une autorisation pour tourner ? - Tanger


Hier, j'étais en train de tourner sur la terrasse des paresseux, une place en plein centre ville de Tanger, l'interview d'un cireur de godasses.

J'étais avec Adel, qui faisait la traduction.

Un premier flic est venu, qui nous a laissé faire, puis un deuxième est arrivé, et nous a demandé ce qu'on faisait là et si on avait l'autorisation de tourner.

Adel a improvisé en arabe (et me l'a dit après) que c'était pour mon mémoire de fin d'études de journalisme, que ça n'allait pas être diffusé. Et que j'avais fait un stage de 3 mois à Medi 1.

Qu'on aurait pu se planquer avec le mec, mais qu'on lui a parlé en toute transparence, parce qu'on ne faisait rien de mal, et qu'on ne posait pas de questions qui fâchent, et qu'on n'avait pas enregistré. Le flic a répondu que peut-être mais que c'était son travail de prévenir les autorités parce que c'était une infraction.

Il a prévenu ses supérieurs qu'une journaliste française tournait sans autorisation.

J'ai profité de ce moment pour remplacer ma carte SD avec les 30 minutes de rush du reportage par une deuxième carte SD vierge. Au poste, ils ne m'ont pas fouillé, ne l'ont pas trouvé.

Je n'avais pas mes papiers, restés chez moi dans un changement de sac. Mais je connaissais mon niméro de passeport par coeur, et leur ai dit que j'avais fait ma demande de carte de résident.
Adel a donné les siens.

Une voiture de la sécurité civile est venue nous chercher, et nous a emmené au commissariat central. Les renseignements généraux voulaient nous poser deux trois questions. Dans dix minutes on serait sorti.

A ce moment là, je me suis souvenue de ce que m'avait dit Hassan, un francophone de la Kasbah : "une fois j'ai emmené une journaliste française au port pour qu'elle interviewe un Marocain qui cherchait par tous les moyens à s'enfuir en Espagne, elle avait une caméra, après quelques secondes d'itw, la police est arrivée, nous a emmené, et nous a interrogé quatre heures chacun".

Nous, ça n'a duré qu'une bonne demi-heure, quelques questions du genre : pourquoi vous faites ça? C'est sur l"émigration illégale ? Nous, sous notre meilleur jour : Non, juste sur cette place, où des gens rêvent de partir mais aussi très animée, d'où le portrait du cireur de pompes. Mouais, pas très convaincant, pas plus que "je devais faire un mémoire sur ma place préférée à Tanger, prendre de l'ambiance..."

Nom, adresse, parents, adresse, fonction.

Ils ont regardé mon appareil photo : aucune photo, je n'avais pas eu le temps d'en prendre.
Mon enregistreur : quand ils ont compris qu'il était vide aussi, ils se sont détendus (heureusement que j'avais pensé à prendre une deuxième carte et à l'échanger avec celle qui avait servi).
De tout façon, au commissariat, personne n'a su se servir de l'Edirol, donc j'aurais sûrement pu effacer la piste, mais en tout cas, grâce à ça, le reportage n'a pas été perdu.

Et puis ils nous ont relâché, avec un avertissement : ne tournez plus sans autorisation.

Pas de "sinon"... mais bon ça m'a refroidi pour la journée : j'ai annulé le rendez-vous fixé avec Hassan pour une interview, lui expliquant que je ne voulais pas nous mettre en difficultés.

Qu'on allait remettre ça plus tard. Le temps pour moi de repenser "stratégie de tournage" : éviter le plus possible de tourner sur la place publique.

Encore motivée, je me suis dit que je pouvais quand même essayer de demander une autorisation de tournage, ne serait-ce que pour savoir comment procéder.

Il existe un centre cinématographique marocain, le CCM, c'est l'organisme qui délivre des autorisations de tournage pour tout ce qui relève de la vidéo. Mais quand j'ai dit que je voulais ça pour la radio, on m'a rétorqué que ça n'existait pas.
Qu'il fallait directement voir avec le ministère de la communication.

Voulant aller au bout de la démarche, j'ai appelé, il faut envoyer un fax à l'attention de monsieur le ministre de la communication, pour lui exposer qui l'on est, ce qu'on veut faire, les périodes de tournage...

Je suis allée faxer ça, dans la foulée, hier après-midi.
Pas de nouvelles bien sûr. Avec l'Aïd par là-dessus, je peux toujours courir pour avoir une autorisation avant d'être rentrée en France.

Le tournage radio n'entrant pas dans le critère d'éligibilité du CCM, il n'est pas illégal de tourner en radio, seulement, les autorités veulent impressionner, faire peur, rappeler qu'on ne doit pas parler de choses qui salissent le Maroc, et donc ne pas laisser les pauvres s'exprimer devant un micro. Et les sous-fiffres terrorisés font du zèle.

Sur l'hypocrisie, et la crainte qui empêche les gens de se montrer sous leur vrai jour, ça me rappelle l'épisode dans le port , en pire.

ça m'a temporairement dégoûtée et freinée. Temporairement seulement.

Je n'avais pas annulé mon rendez-vous de ce matin avec Rachid Tafersiti, l'écrivain tangérois. On avait rendez-vous sur la terrasse de l'Hôtel Continental, en lieu privé donc.

Une chose est sûre, si je continue à tourner ici, je ne vais pas sortir le micro n'importe où, ni trop longtemps.

1 commentaire:

La Botte a dit…

bon réflexe le changement de carte SD !
quel bordel ces autorisations... pas d'autres soucis depuis?