lundi 21 décembre 2009

Doucement quand même

Bonjour à tous,

il se trouve que le post précédent a été publié 'accidentellement' (ben ça arrive !). En effet, des amalgames et des interprétations erronées sont faciles et me gêneraient beaucoup même en plein débat sur l’identité nationale (blague).

Je trouve donc utile de préciser que peu de temps avant mon départ, Lucie m’a fait rencontrer des gens qui n’ont rien et qui donne tout, de leur temps, de leur sympathie, de leur hospitalité, de leur mouton, de leur amitié, sans aucune attente... Il a fallu se rendre dans les quartiers pauvres de Tanger, notamment Bir Chifa pour que l’on rencontre le Maroc.

Alors rien que pour eux, car c’est là la moindre reconnaissance que je puisse avoir, je pense que mes impressions sont à mettre en relief.

Ces impressions ne sont que le reflet de personnes de passage à Tanger, expatriées ou non, qui vivent parfois là sans pouvoir rencontrer ces gens, faute de temps ou d’énergie, car il en faut, de l’énergie.

Il convient donc de mettre un bémol à ces propos qui ne traduisent aucune colère, loin s’en faut.

Juste le sentiment d’un voyage inachevé et mon manque à gagner de connaître mieux Tanger et le Maroc.

Niko

vendredi 18 décembre 2009

Et ben nan, pas Inch'Allah

Je n’ai pas croisé ou trop peu ces échanges qui font que les voyages nous enrichissent, nous aide à comprendre une culture différente de la notre. Pas à Tanger. Pas durant mes séjours consécutifs ces trois derniers mois. Pas assez.

Au travers de Tanger, porte du Maroc et du Maghreb à la fois, j’ai vu une ville où pousse le béton dans un grand désordre d’illusions, où les immeubles se construisent et les espoirs se créent, à grands renforts d’investissements économiques alors que les chemins de liberté semblent se rétrécir, ici plus encore que dans le Maroc tout entier.

Je n’ai pas saisi ces regards qui invitent, qui partagent, ou si peu.

Sans doute avec le temps, belle Tanger, aux rues pleines de couleurs et de vie, tu trouveras un jour un souffle de liberté qui balaiera tes rues de ses sacs plastiques et chassera ces voiles qui couvent une révolution.

Mais je ne serai plus là. Et non, pas Inch’Allah.

Pourtant, je ne vais me souvenir que du meilleur. Tes réveils tardifs baignés de soleil, tes gens juchés face à l’Espagne, qui rêvent les yeux grands ouverts. Tes sirènes de bateau qui se mêlent aux appels à la prière. Tes ruelles blanches et tes murs penchés. Tes odeurs, enfin, tantôt insoutenables, tantôt parfumées de la fleur d’oranger dont se parfument les femmes, et des épices qui colorient tes boutiques.

J ‘avais préparé une violente diatribe contre toi, Tanger. Et finalement, je ne pense qu’une chose, je suis jaloux de ceux qui te comprennent. Je suis envieux de ceux qui t’aiment.

Mais non, pas Inch’Allah.

Non, car personne ne décide pour moi, pas plus du très haut que du tréfonds, de ce que j’ai à faire ou pas, de ce que je dois dire ou pas.

Tanger, je suis libre et je crois en l’homme plus qu’en dieu, alors définitivement non, pas Inch’Allah.

Niko

samedi 5 décembre 2009

La kasbah - Tanger




La kasbah, ce sont des bruits plus que des images.

Au lointain, le cri des mouettes. La corne de brume au port, et tout de suite les faux guides qui se préparent à accueillir les passagers du ferry. Les petits et les grands qui tiennent les murs commencent à s'agiter. Et le spectacle commence. Par groupes de trente, les nouveaux venus défilent, "la kasbah est comprise entre deux portes", "site défensif", "les Rolling Stones ont séjourné dans cette maison", "Les fils du détroit, de la musique soufie authentique", etc etc, invariablement dans toutes les langues, surtout le week-end. Défilé de touristes suivi de près par un défilé de vendeurs de babioles tous genres.

Des casquettes, l'appareil photo prêt à être dégainé, tout sourire. Le cortège dans les ruelles étroites de la kasbah, le cachet pittoresque des maisons, le calme, les enfants qui jouent, et bien sûr la très belle vue sur le détroit de Gibraltar et l'Espagne, un de ces panoramas qu'on ne se lasse pas de contempler.
-Je suis parfois une de ces touristes de masse (quoique jamais en groupe), je ne leur en veux pas, mais c'est assez désastreux et comique à observer de l'extérieur-.

Dans le quotidien, les enfants qui courent, qui crient, qui jouent dans ce petit village qui semble préservé de l'extérieur. Les engueulades interminables bien en vue ou à l'intérieur des maisons, homme-femme, femme-femme, femme-enfant, enfant-enfant...
Les expatriés qu'on croise, et le 'ola' qu'on récolte, même si on a déjà croisé cette petite fille ou cette dame quinze fois. Non, je ne suis pas une touriste, j'habite ici.
Mais ne parle ni arabe ni espagnol, alors on ne communique pas.

La kasbah, ce sont aussi les rires gras des jeunes qui viennent fumer des joints et boire des bières pas loin de chez moi. Des durs à cuir.

Les chants d'enterrement. Mais là, c'est visuel aussi. Des hommes de tous les âges qui fredonnent ou chantent à tue-tête un refrain à la gloire du mort et de dieu, qui défilent du lieu de vie du mort au cimetière. Des hommes qui viennent progressivement grossir les rangs de la procession. Et quatre d'entre eux qui portent le corps.


La kasbah, ce sont aussi des odeurs. Celle piquante des moutons de l'aïd, celle agréable qui entre en ce moment-même par la fenêtre du bureau, un mélange de harira, de pâtisseries, de viande grillée. J'en salive rien que de l'évoquer. Celle encore plus agréable du groupe de femmes sortant du hammam, parfum fleur d'oranger, ou verveine.
Tout n'est pas un pot pourri de fleurs séchées dans la kasbah, il y a l'odeur de pisse, celle des poubelles immondes.

Il y a aussi les bruits de voisinage, les bruits d'intérieur et puis le plus caché encore, le souterrain.
La prostitution. Mon voisin par exemple à qui je dis bonjour. J'ai eu confirmation qu'il tenait un bordel chez lui. Pas de bruits dérangeants, mais un va et vient de clients, et sa fille de 17 ans mère d'un bébé qui ne voit jamais le jour puisqu'il est un enfant d'une passe. Elle sort comme toutes les autres couverte d'un voile et d'une longue djellaba. A première vue, difficile de deviner ce qu'elle fait de ces journées.
La pédophilie, les petits arrangements entre voisins, les enfants qui ne vont pas à l'école, ramènent des sous à leurs parents de toutes les manières possibles. C'est l'"aide sociale" selon l'expression de Hassan. Les grands comptent sur les petits pour faire tourner la boutique.
La kasbah, c'est aussi un petit Maroc, dans ses aspects les plus glauques : les non-dits et la misère.


La kasbah, ses pauvres et ses riches, côte-à-côte. Les premiers sont marocains, n'ont pas toujours l'eau courante, parfois pas l'électricité, vivent dans une grande pièce, même s'ils ont une grande maison, parce qu'elle n'est pas aménagée.
Et puis les étrangers, des Français surtout, qui rachètent une à une les maisons, les rénovent avec goût et en font des maisons d'hôte de charme. Ils font grimper les prix, de sorte que plus un Marocain ne peut y acheter une maison. La kasbah se vide de ses habitants d'origine, des gens pas toujours pauvres, mais qui ne résistent pas à la tentation de vendre leur maison à prix d'or à un étranger, pour aller s'installer ailleurs. Ce à quoi la plupart aspire de toute façon, la kasbah n'étant pas considérée par les Marocains comme un lieu prisé, mais plutôt comme un lieu arriéré, n'offrant pas le confort moderne.

La kasbah c'est donc pour moi quelques jolies rencontres (très rares), beaucoup d'indifférence à mon égard, mais aussi un grand plaisir à y vivre.


Et puis tout de même quelques photos.















































Et des photos que je n'ai pas prises, une notamment :

Les garçons de la kasbah jouant à dix à la Playstation sur trois ordinateurs dans un cagibi 'videogame'. Après cinquante fois passée devant la boutique ouverte, je me suis lancée :
'je peux vous prendre en photo ?'
un : 'oui oui', il savait que je fais développer les photos et en donne parfois aux gens concernés.
un autre : 'non, mon père ne veut pas'. 'pourquoi?' 'parce que ça fait Afrique, les enfants qui jouent, les vieux ordinateurs, il n'y a pas ça en Europe'.
Je n'ai rien trouvé à répondre et j'ai passé mon chemin. Ce garçon m'a donnée à réfléchir. Qu'est-ce que je cherchais dans cette photo ? Le cliché du tiers-monde, la vétusté des équipements et les enfants jouant à n'en plus pouvoir.

Je ne considère pas le Maroc comme un pays arriéré, et c'est clair qu'il se développe sur le plan économique (et même des nouvelles technologies, les cyber sont de plus en plus nombreux...). Mais c'est aussi vrai que les infrastructures sont anciennes, que les gens ont peu de moyens, et que la misère est crasse.

C'est aussi ça le Maroc, donc cela justifie la photo.
Je comprends qu'il se sente constamment jugé par des touristes voyeurs et friqués. Qu'il puisse avoir le sentiment qu'ils sont venus se mettre plein de misère dans les yeux, celle-là même qui ne les touchera jamais. Je m'inclus dans le lot. Et comprends que cela puisse atteindre sa dignité.

mercredi 2 décembre 2009

Le repos - Tanger






Il y a déjà plusieurs semaines, je rentrais chez moi, grimpais les marches pour rejoindre le haut de la kasbah, quand je suis tombée sur eux. Des blouses bleues, des travailleurs, au repos. Détendus. Passé le 'ouf'' de surprise, je les ai photographiés, d'abord réticents, puis ouverts à mon appareil et moi. Quelques minutes à ne pas manquer, le bon timing, j'ai sauté sur l'occasion. Clic clac et puis s'en va.
















mardi 1 décembre 2009

Petite visite du port - Tanger











Je suis allée plusieurs fois au port de Tanger. J'y ai rencontré Mohammed, secrétaire de l'association des marins-pêcheurs de la ville, l'une des six associations ayant un local au port. Un homme gentil, qui a retrouvé son français au fil de nos rencontres et pris du temps pour me faire visiter en temps que journaliste le port, son chantier naval (voir photos ci-dessous) et ses ateliers de mécanique.














Au port, pas la moindre femme à l'horizon. Ah si, en fouillant dans sa mémoire, Mohammed a retrouvé une femme, capitaine de bâteau qui plus est. Mais pas à Tanger.
Non, que des hommes. Ecoutant la radio, sirotant un café de bon matin, préparant leurs filets pour la pêche future, faisant les dernières réparations à bord avant le grand départ.






port, il y a des montagnes de filets maillants, ceux-là même qui dérivent en mer et capturent espadons, requins et autres gros morceaux. Cela fait des années que les associations de défense du milieu marin demandent l'interdiction de ce type de filet qui attrape tout ce qui bouge et ne laisse aucune chance au poisson. Cette fois, l'accord de pêche conclu entre le Maroc et l'Union européenne semble déboucher sur une interdiction réelle de ces filets -au grand dam des pêcheurs tangérois-, d'ici 2012.
En France aussi ces filets maillants dérivants sont interdits.





Tant qu'ils peuvent les utiliser, les pêcheurs du port de Tanger ne s'en privent pas. Pendant la belle saison de l'espadon (le premier poisson pêché ici, un gros poisson de 250 kilos minimum), printemps surtout, été, et un peu moins automne d'après ce que j'ai compris, ils récoltent des dizaines d'espadons en un voyage.
Des espadons destinés aux marchés intérieur et extérieur, en Union européenne et au Japon surtout (une grande partie du thon pêché part aussi au Japon).
Les belles prises du jour sont envoyées à l'export ou finissent dans les restaurants huppés (langoustes...) directement après la vente à la criée.
Le reste est exposé sur les étals du marché aux poissons le lendemain matin.
-voir post précédent-.

Pour un pays avec autant de littoral (3600 km tout de même), les Marocains consomment peu de poissons. Cela reste cher, sauf la sardine, à 10 dh le kilo.

Il y a trois types de pêche :
-hauturière (haute mer) :
on part un ou deux jours sur un palangrier (il y en a environ 300 au port)
ou plus rarement sur un navire.
Un palangrier est un bateau moyen avec une contenance de 2 à 30 tonnes.
On pêche sardine, espadon, daurade, gros yeux, pageot, tout comme avec les autres types de pêche.
-la pêche côtière, mêmes poissons, mêmes bateaux, souvent un peu plus gros (5 à 50 tonnes).
-la plus importante au Maroc, la pêche artisanale. D'après Mohammed, il y a entre 10 000 et 11 000 pêcheurs à Tanger. La majorité utilise ce genre de barque (ci-dessous).





Niveau salaire, comment ça fonctionne ?
Comme dans pas mal de pays. L'argent de la revente de la 'récolte' (j'ai oublié le nom technique) est partagée entre tous les membres d'équipage. Le capitaine a deux parts, les matelots une part, les 'spécialistes' comme les mécanos, une part et demi. A cela le poisson que l'on ramène à la maison le soir. Mohammed, mécano, gagne à peu près entre 3500 et 4500 dhs par mois, 300 à 450 euros par mois, deux fois plus que le smig.

Y-a-t'il une différence entre poisson de Méditerranée et poisson de l'Atlantique ?
Les poissons sont les mêmes dans l'une ou l'autre mer (daurades, soles, sardines...)
mais sont meilleurs et plus chers quand ils viennent de Méditerranée (ne me demandez pas pourquoi). Souvent, une fois en mer, les pêcheurs de Tanger ne savent plus s'ils sont en orient' ou 'en occident', alors ils se servent d'un GPS (moi qui croyais qu'ils avaient une technique ancestrale pour différencier les deux courants ! image d'épinal...) et privilégient la pêche dans les rayons méditerranéens.











Après notre visite du port, Mohammed m'a emmenée dans un rade de pêcheurs à la sortie du port, en direction du petit socco. A l'intérieur, que des hommes, des pêcheurs, captivés par une émission politique d'Al Jazira pour certains, par le kif qu'ils fumaient pour d'autres.
C'était un moment assez improbable où je n'ai pu qu'observer les casquettes de différentes marques des pêcheurs, leurs cafés fumants et la très belle mosaïque bleue et verte du café, prêter l'oreille à la musique de leurs conversations animées, par-dessus le fond sonore de la télévision.